De Dunkerque à l’Europe : les leçons de l’Institut Montaigne pour réussir la réindustrialisation

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Entreprises Par Malcom TCHAMTE Publié le  05/12/2025
De Dunkerque à l’Europe : les leçons de l’Institut Montaigne pour réussir la réindustrialisation
Le site d'ArcelorMittal à Dunkerque, colosse industriel dont la décarbonation est la clé du renouveau du bassin.

Dans un rapport dense publié ce jeudi 4 décembre, l’Institut Montaigne décrypte la métamorphose de Dunkerque. Plus qu’une simple étude locale, ce document pose une question vitale pour l’avenir économique du continent : la France et l’Europe sont-elles encore capables de bâtir de grandes industries face à la concurrence internationale ? Plongée dans les mécanismes d’une reconquête spectaculaire dont le succès ne tient cependant qu’à un fil...


« Dunkerque : laboratoire d’un renouveau industriel ? » Derrière cette interrogation lourde de sens se cache le titre du dernier rapport de l’Institut Montaigne, publié ce jeudi 4 décembre. Cette étude, loin de n’être qu’une simple monographie territoriale, constitue un véritable manifeste en faveur d’une refonte des politiques industrielles françaises et européennes.

Et pour cause, dans un contexte économique marqué par une brutalisation des échanges internationaux, une fragmentation des chaînes de valeur et la menace latente du changement climatique, le cas de la cité portuaire agit comme un prisme révélateur : sur son seul territoire, Dunkerque concentre en effet l’ensemble des défis industriels auxquels l’Europe est confrontée.

C’est pourquoi, le think tank, après avoir analysé la transformation de celle que l’on nomme désormais la vallée de la batterie, formule dans son rapport dix recommandations stratégiques pour transformer cet essai local en succès continental.

Un bastion industriel à la croisée des chemins

Il faut dire qu’en matière d’industrie, Dunkerque est à un tournant décisif. Si ce territoire reste marqué par le traumatisme de la fermeture des chantiers navals en 1987, il n’en demeure pas moins un bastion de l’industrie lourde : à lui seul, le bassin dunkerquois concentre plus de 20 % des émissions industrielles de l’Hexagone. Dès lors, l’agglomération n’avait d’autre choix que celui de se réinventer, sous peine de disparaître sous le poids de la réglementation environnementale et de l’obsolescence carbone.

Et pour relever ce défi, la ville a bénéficié d’investissements colossaux : selon le rapport, c’est près de quatre milliards d’euros d’argent public français et européen qui ont été consacrés au renouveau industriel de Dunkerque ces trois dernières années. Une somme vertigineuse qui devrait toutefois continuer de grimper, plusieurs autres milliards étant encore prévus pour mener à terme une stratégie qui repose sur une double dynamique complémentaire : la défense de la base industrielle existante et une offensive sur les technologies de demain.

La première moitié concerne principalement la sauvegarde d’ArcelorMittal et Aluminium Dunkerque, deux géants qui structurent l’économie locale et nationale. À eux seuls, ces deux sites représentent 40 % de la production nationale d’acier et les deux tiers de la production d’aluminium. Pour ces mastodontes responsables de 15 % des émissions industrielles françaises, la décarbonation n’est donc plus une option cosmétique, mais une condition de survie face au durcissement du marché carbone européen.

Sauver l’existant, inventer l’avenir

De fait, une transformation à marche forcée a ainsi été engagée. D‘un côté, ArcelorMittal mobilise 1,8 milliard d’euros, dont 850 millions d’euros d’aides publiques, pour remplacer ses hauts-fourneaux au charbon par des procédés électriques et à hydrogène. De l’autre, Aluminium Dunkerque, plus grande fonderie d’Europe, mise sur le recyclage massif et le développement futur de la capture de carbone pour pérenniser son site.

En parallèle de cette mutation, Dunkerque mise sur l’émergence d’une filière complète dédiée à la mobilité électrique. Ainsi, selon l’Institut Montaigne, plus de 9 milliards d’euros d’investissements, dont 3 milliards d’aides publiques, sont fléchés vers quatre projets majeurs qui ambitionnent, à terme, d’équiper près d’un million de véhicules par an.

En fer de lance, la gigafactory de Verkor, dont l’usine est quasiment achevée, vise une production de 16 GWh dès 2026. Elle sera suivie par le taïwanais ProLogium qui ambitionne de produire 48 GWh de batteries solides. Les deux derniers projets sont quant à eux destinés à permettre une intégration complète de la chaîne de valeur, aussi bien l’amont avec le projet Orano-XTC pour les composants de cathodes, que l’aval, avec l’usine de recyclage de Suez, dans une logique d’économie circulaire. Un écosystème complet qui devrait générer au bas mot 5 000 emplois directs

La méthode Dunkerque à la loupe

Ce foisonnement d’initiatives ne doit en réalité rien au hasard. Si Dunkerque a su capter ces investissements au nez et à la barbe de la concurrence européenne, c’est parce que le territoire a su déployer une véritable méthode industrielle. Le rapport met ainsi en lumière un atout maître : celui de l’anticipation foncière.

Sous l’impulsion du Grand port maritime, des plateformes adaptées à l’activité industrielle ont été viabilisées et raccordées bien avant l’arrivée des prospects. Cette stratégie permet d’offrir aux industriels des sites immédiatement exploitables qui leur font gagner 12 à 18 mois sur leur calendrier prévisionnel. Un avantage critique compte tenu de la course de vitesse mondiale dans laquelle ils sont engagés. 

Au-delà des infrastructures, l’étude insiste sur l’efficacité d’une gouvernance locale totalement alignée. Loin des cloisonnements habituels, l’État, la Région et les collectivités ont formé un front commun qui a su dépasser les clivages habituels pour être capable de lever les verrous administratifs en temps réel.

Une union sacrée facilitée par un actif immatériel précieux : la culture industrielle du territoire. Car contrairement à d’autres territoires, les Dunkerquois ne perçoivent pas l’usine comme une nuisance, mais comme le poumon économique de la région. En résulte une acceptabilité sociale bien supérieure à la moyenne nationale.

Un modèle local exposé aux périls globaux

Pour autant, ce tableau positif ne doit pas occulter la fragilité du modèle. Dans son rapport, l’Institut Montaigne identifie plusieurs menaces existentielles, à commencer par le plus criant : le mur énergétique. Avec une électricité deux à trois fois plus chère qu’aux États-Unis ou en Chine, la compétitivité des sites prévus est structurellement menacée, d’autant que l’incertitude réglementaire entourant la fin du dispositif ARENH empêche les industriels de se projeter sereinement sur le long terme. Une faille béante dans laquelle s’engouffre une concurrence chinoise dopée aux subventions, dont les surcapacités massives font chuter les prix sous les seuils de rentabilité des producteurs européens.

À cette pression externe s’ajoute une lourdeur interne. Ainsi, l’étude insiste sur la complexité des mécanismes de soutien européens, jugés inadaptés à la vitesse d’exécution dont ont besoin les start-up industrielles : selon leurs dires, l’accès aux financements ressemble trop souvent à un parcours du combattant où les délais de versement fragilisent les trésoreries. Enfin, alors que les techniciens de maintenance et les ingénieurs manquent à l’appel, et que le système de formation peine à suivre la cadence, la viabilité de ces projets est également menacée par une criante pénurie de compétences. 

Dix propositions pour une rupture stratégique

Car l’enjeu dépasse de loin les frontières du Nord. Pour l’Institut Montaigne, Dunkerque est la preuve par l’exemple que la réindustrialisation est possible, à condition d’opérer un changement de paradigme à la tête de l’État. Des recommandations que le think tank formule à travers dix propositions stratégiques. Loin de la logique de saupoudrage actuelle, le rapport plaide d’abord pour une concentration massive des moyens sur une douzaine de pôles industriels majeurs répartis aux quatre coins du pays.

Ces territoires, que l’étude désigne sous le patronyme ZPRI (pour Zones prioritaires de relance industrielle), bénéficieraient ainsi d’un véritable régime d’exception pour maximiser leur attractivité. Ce dispositif reposerait sur une mise à niveau accélérée des infrastructures par l’État, une simplification drastique des procédures administratives sous l’autorité des préfets, et surtout un choc fiscal ciblé. Pour s’aligner sur la concurrence, l’étude recommande en effet une baisse des impôts de production (notamment la taxe foncière) et une exonération de charges sur les emplois qualifiés au sein de ces périmètres.

Ce cadre favorable doit s’accompagner d’un bouclier énergétique et financier robuste. Sur le front de l’électricité, le rapport recommande de multiplier les contrats de long terme adossés au nucléaire historique (CAPN) pour garantir aux industriels une visibilité sur 15 ou 20 ans. Pour débloquer les projets les plus risqués, comme l’hydrogène ou les réseaux de chaleur, l’État est également invité à jouer son rôle d’assureur en dernier ressort via des garanties publiques, sur le modèle de la Coface.

L’Europe, horizon indépassable de la réussite

Enfin, en matière d’investissement, l’Institut Montaigne insiste sur la nécessité d’une politique financière plus ambitieuse. Car pour combler le retard sur les États-Unis, l’Europe doit créer son propre choc financier en simplifiant l’accès aux fonds et en optant pour la préférence locale au moment de la distribution des contrats publics. 

Parce qu’en définitive, c’est à l’échelle continentale que se jouera la pérennité de ces efforts nationaux. Sans une remise en question sérieuse de ce que le think tank qualifie de « naiveté commerciale », l’Europe sera toujours exposée aux pratiques agressives de ses concurrents mondiaux. Ainsi, le rapport plaide pour une utilisation sans complexe de ses instruments de défense pour plus de fermeté, notamment par l’usage de droits de douane et de mesures anti-dumping.

Mais au-delà de son rapport à l’extérieur, le Vieux Continent doit également réviser sa politique intérieure, notamment en matière de régulation de la concurrence. En ce sens, l’Institut Montaigne recommande d’alléger ces réglementations pour permettre l’émergence de champions continentaux et la concentration des fonds vers des pôles de compétitivité. Et pour incarner cette ambition, l’étude recommande la nomination d’un Commissaire dédié à la stratégie industrielle. Cette figure de proue aurait la lourde tâche de coordonner cette mobilisation générale, qui devra impérativement inclure un volet humain massif pour former les bataillons d’ingénieurs et de techniciens qui manquent aujourd’hui à l’appel.

Un continent à l’heure des choix

En somme, ce rapport doit se lire moins comme un bilan de victoire que comme une mise en garde. Si Dunkerque venait à échouer malgré ses atouts considérables que sont le nucléaire, le port et la culture ouvrière, c’est toute l’ambition industrielle du continent qui s’effondrerait. Pour l’Institut Montaigne, le temps des ajustements à la marge est révolu. La réindustrialisation ne se décrète pas. Elle se construit par une concentration des forces, une simplification radicale et une bonne dose de patriotisme économique européen. La responsabilité est désormais entre les mains des décideurs, à Paris comme à Bruxelles.

De Dunkerque à l’Europe : les leçons de l’Institut Montaigne pour réussir la réindustrialisation
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