Boutté : de PME familiale à acteur de référence
Né en 1867, le décolleteur picard opère une mutation spectaculaire. Fort de 2,5 millions d’euros d’investissements et d’un modèle d’usine 100 % intégrée, la PME s'impose comme un partenaire industriel de premier plan pour les secteurs de pointe. Récit d’une transformation stratégique.
L’histoire industrielle tient parfois à peu de choses. À une intuition, un pari, un changement de cap. Pour comprendre ce qu’est devenu Boutté aujourd’hui, il faut remonter le fil du temps jusqu’en 1867, au cœur du Vimeu. C’est là que Nicolas Boutté, un cultivateur de 28 ans, décide de troquer la charrue pour la lime. Inspiré par un grand-père serrurier, il transforme une dépendance de sa ferme en fonderie. Il ne le sait pas encore, mais ce geste fondateur, dicté par l’audace, vient de planter les graines d’une aventure qui traversera trois siècles.
Plus de 150 ans plus tard, la petite aventure a changé d’échelle, mais l’esprit de conquête est resté intact. La ferme a laissé place à un site industriel de 12 500 m² à Friville-Escarbotin (Somme), et l’artisanat s’est mué en une mécanique de précision implacable. Boutté est désormais une figure de proue du décolletage français, une PME de 135 collaborateurs capable d’orchestrer la transformation de 2 500 tonnes de matière par an.
Si l’ancrage est local, l’ambition, elle, n’a plus de frontières. L’entreprise a su sortir de son pré carré historique pour devenir un partenaire critique dans des domaines où l’erreur n’est pas une option : le médical, la robotique, l’aéronautique, ou encore la connectique et le luxe. Du laiton historique aux polymères techniques (PA, PEHD, POM) en passant par l’inox et l’acier, l’usine jongle avec les matériaux pour servir des commandes allant du prototype unique aux séries pouvant atteindre le million de pièces.
Un partenaire industriel, de la conception au produit fini
Cette longévité s’explique par un refus du statu quo. Très tôt, Boutté a compris que pour durer, il ne suffisait plus d’être un simple exécutant, aussi talentueux soit-il : il fallait devenir indispensable. C’est ainsi que la PME a peaufiné, année après année, un modèle d’usine 100 % intégrée, transformant le sous-traitant en un partenaire global.
Cette philosophie du « tout sous le même toit » change la donne pour le client. Le voyage d’une pièce ne commence plus à l’atelier, mais au bureau d’études. Là, armés de logiciels de CAO, les ingénieurs coconstruisent les solutions avec les donneurs d’ordres. L’entreprise a d’ailleurs intégré l’impression 3D dans son flux de travail, non pas comme un gadget, mais comme un accélérateur de temps : elle permet de prototyper les pièces, mais aussi de fabriquer les posages de contrôle avant même que l’usinage ne débute, réduisant drastiquement les temps de mise au point.
Cette maîtrise se prolonge bien après que le copeau a été taillé. L’obsession de la qualité a poussé l’entreprise à internaliser des étapes cruciales, souvent sous-traitées ailleurs. Ainsi, pour les marchés sensibles comme les gaz médicaux, Boutté a érigé un espace clos et climatisé, une salle blanche dédiée aux tests d’étanchéité et de propreté particulaire. Et parce qu’un composant parfait mérite un écrin adapté, l’entreprise a investi près de 300 000 euros dans un pôle impression interne. Découpe au laser de carton, impression de notices, assemblage : le client ne reçoit pas une pièce en vrac, mais un produit fini, emballé, prêt à être commercialisé. C’est cette agilité, du plan au packaging, qui signe la singularité de Boutté.
Plus de 2,5 millions d’euros d’investissements
Mais l’intégration ne vaut rien sans un outil de production capable de suivre la cadence. Fidèle à l’audace de son aïeul, la direction actuelle n’hésite pas à investir massivement pour maintenir son parc de 70 machines à la pointe de l’art. S’est ainsi engagée une véritable course à la performance : depuis 2022, près de 2 millions d’euros ont été injectés dans l’atelier, et 550 000 euros supplémentaires sont déjà fléchés d’ici 2026.
Il ne s’agit pas d’acheter pour accumuler, mais de répondre à des défis précis. L’arrivée du laiton sans plomb a imposé l’achat d’un tour multibroche Gildemeister GM35 (351 000 euros). La complexification des pièces longues a justifié l’investissement dans un tour CN à poupée mobile Citizen M352 (431 000 euros), repoussant les limites d’usinage à 38 mm de diamètre. Cette quête de productivité s’est poursuivie en 2024 et 2025 avec l’arrivée de machines Index et Star, dédiées à la rapidité d’exécution sur les petits diamètres.
Le prochain chapitre de cette histoire industrielle s’écrira sous le signe de l’automatisation et de la sobriété. Demain, des robots de déchargement (un investissement de 300 000 euros) manipuleront les pièces sensibles pour éviter le moindre microchoc. En parallèle, une centrifugeuse à copeaux viendra fermer la boucle des fluides, récupérant l’huile de coupe pour la réinjecter dans le circuit. Une manière de rappeler que l’industrie du futur se doit d’être aussi propre que performante.
L’excellence du Made in France comme cap
Cette démarche écoresponsable, illustrée par des stations de lavage en circuit fermé sans rejet, n’est pas seulement une contrainte réglementaire : elle est un argument de vente. Car Boutté ne se contente plus de son marché domestique. Forte de son label Made in France et de son expertise technique, la PME regarde désormais vers l’Est.
Soutenue par le programme Accélérateur export Hauts-de-France, l’entreprise structure sa conquête de l’Europe centrale. Pologne, République tchèque, Roumanie : ces marchés en pleine croissance sont friands de l’excellence française, notamment pour les secteurs des gaz médicaux ou des drones militaires et civils.
De la ferme de Nicolas Boutté aux marchés de la défense en Europe de l’Est, le chemin parcouru est immense. Pourtant, la philosophie reste la même : oser investir, maîtriser son métier de bout en bout, et regarder loin. Une recette qui permet à Boutté, 157 ans plus tard, de ne pas seulement subir le temps qui passe, mais de continuer à le façonner.