Taïwan, fournisseur invisible de l’Europe : décryptage d’un modèle industriel

lire plus tard
Evénements Par Lolita Péron Publié le  12/11/2024
machine-outil exposée à taiwan
À l’image de la société Wisbrain International Ltd, la plupart des fabricants de machines-outils CNC vendent à des grands groupes qui redistribuent les produits.

À Taïwan, les savoir-faire ne manquent pas. Seulement, les entreprises sont méconnues, car elles ne vendent pas en marque propre. Les dirigeants, qui sont vus comme les sous-traitants du monde, veulent sortir de cette démarche et s’émanciper.


« Dans le monde, les entreprises taïwanaises sont méconnues. Nous pourrions interroger une centaine de dirigeants français, je peux mettre ma main à couper qu’aucun d’entre eux ne saura citer une marque du pays », lance Stéphane Peden, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie française à Taïwan. « À part, peut-être, celui de la société Prologium, car elle a pour projet d’installer une gigafactory de batteries au lithium-céramique à Dunkerque », poursuit-il.

Pour cause, nombreuses sont les entreprises taïwanaises qui ne vendent pas leurs produits sous leurs propres marques, comme c’est le cas pour Wisbrain International Ltd. « Nous sommes spécialisés dans la production de machines-outils automatisées à fraisage et tournage CNC. Beaucoup de nos machines sont envoyées chez Ferro en Allemagne puis redistribuées », témoigne le dirigeant de l’entreprise, en pleine démonstration avec son tour, lors du Taïwan International Tools & Hardware Expo (TiTe), qui s’est déroulé du 16 au 18 octobre dernier à Taichung (Taïwan).

reporter au salon TiTe à Taïwan

Lolita Péron, envoyée spéciale de Machines Production, au salon TiTe à Taïwan, le 17 octobre. (photo TiTe 2024)

À quelques pas de là, sur le stand de l’entreprise Home Soon Enterprise Co. Ltd, le message est clair : « Votre marque, notre mission. » La société, spécialisée dans l’usinage et l’exportation d’outils de fixation haute performance, s’efface pour ne laisser briller que les marques qui font appel à elle. « Nous sommes les sous-traitants du monde », s’amuse d’ailleurs à dire le dirigeant de cette société.

Un marché européen difficile à atteindre

En 2023, les échanges commerciaux entre Taïwan et la France s’élevaient à 7 milliards d’euros. « Les Français importent avant tout des produits électriques, des équipements informatiques, des produits chimiques et des machines », détaille Stéphane Peden. Un chiffre bien en deçà des échanges entre les Pays-Bas et Taïwan (15 milliards d’euros) et entre l’Allemagne et Taïwan (20 milliards d’euros). « Heureusement que nous avons notre partenaire Ferro pour distribuer en Europe, car le marché français est difficile à atteindre », confirme le dirigeant de Wisbrain International Ltd.

En effet, sur les 300 exposants taïwanais, présents lors du TiTe, beaucoup disent travailler avec l’Europe. Mais en réalité, ils travaillent avant tout avec l’Allemagne, tout au plus avec l’Italie, mais très rarement en direct avec la France. « Nous collaborons déjà avec l’Allemagne et après plusieurs années de travail, nous venons enfin de passer des contrats en Italie, se réjouit le responsable de Hwe Der Machinery and Handware Co. Ltd, qui fabrique des outils de coupe en carbure de tungstène. En ce qui concerne la France, nous n’arrivons pas à entrer sur le marché. Je ne sais pas ce qui bloque… La distance ou la langue peut-être ? »

Il faut dire que les exposants du TiTe, qui sont à 80 % des TPE et des PME, possèdent rarement de service marketing. « Les entreprises taïwanaises ne mettent pas d’argent dans le marketing, alors qu’ils ont de bons produits à proposer. C’est sûrement cela qui joue en leur défaveur », constate Stéphane Peden.

Des produits qui se développent

« Cela doit changer, affirme Jack Lai, en charge du TiTe et président de l’association des fabricants d’outils à main taïwanais. C’est pour cela que nous avons décidé de donner au TiTe une autre dimension l’année prochaine. » L’exposition se déroulera dans des lieux plus grands, avec des dirigeants du monde entier inscrits sur la liste des invités. En 2024, des acheteurs d’une vingtaine de pays ont fait le déplacement. En 2025, Jack Lai espère en voir le double.

magazine sur le salon Tite à Taïwan

L’édition bilingue de Machines Production était distribuée au Taïwan International Tools & Hardware Expo (TiTe), qui s’est déroulée à Taichung du 16 au 18 octobre.

D’autant que les fabricants de machines tentent de passer à la vitesse supérieure. « Nous intégrons l’intelligence artificielle dans certaines de nos machines. Actuellement, nous sommes en phase de test, car l’IA a besoin d’être entraînée avant d’avoir ses pleines capacités », témoigne Kiam Meng Ang, CEO de Jumbo Group Limited, fabricant de machines depuis les années 2000. Sur le salon, des machines-outils automatisées à fraisage et tournage CNC, à la vision 3D étaient exposées. C’est à ces machines que l’intelligence artificielle va être intégrée pour la fabrication de pièces plus complexes et pour réduire plus encore les erreurs.  « Les entreprises taïwanaises ont les savoir-faire et la main-d’œuvre qualifiés. Elles doivent se faire connaître en leurs noms », conclut Jack Lai.

Taïwan, fournisseur invisible de l’Europe : décryptage d’un modèle industriel
Lolita PéronAgence Aletheia Press pour Machines Production
Couverture magazine Machines Production
Logo Machines Production
Nos offres de lecture
Papier + numérique
  • Accès illimité
  • Tout le contenu magazine
  • Numéros hors série (selon l'abonnement choisi)
  • Editions régionales (selon l'abonnement choisi)
  • Accès aux anciens numéros