Nous recevons comme invités deux experts :
Philippe Eudeline, président de NAE, Normandie AéroEspace, un réseau qui regroupe des acteurs de l’aéronautique, du spatial, de la défense et de la sécurité.
Jean-Marc Scolari, président de la section soudage-brasage-coupage d’Evolis, qui est l’organisation professionnelle des biens d’équipement pour l’industrie.
Sur notre plateau de Boulogne-Billancourt, ils évoquent :
– Les besoins du marché
– Les spécificités contractuelles du secteur
– Les précautions à prendre en matière de sécurité
– Les restrictions sur l’origine des équipements
– Les exigences de qualité des pièces produites
– Les enjeux du recrutement
– L’évolution de la perception du secteur de la défense

Le marché de la défense est redevenu un enjeu stratégique majeur pour la France. Décrivez-nous quels sont les besoins actuellement ?
Philippe Eudeline. Fabriquer les équipements dont nos forces ont besoin. Un certain nombre de produits sont déjà en fonction dans les forces que soit l’avion Rafale, les chars, les équipements de transport et de communication. Mais on s’est aperçu, au début de la guerre d’Ukraine, qu’on n’était pas capable de tenir une guerre de haute intensité parce qu’on a des équipements extrêmement sophistiqués, mais en petit nombre. Donc l’objectif à court terme, c’est d’augmenter nos capacités, en fabriquant les produits qui ont été développés ces dernières années.
C’est un secteur qui nécessite aussi du financement pour anticiper les commandes ?
P.E. Il faut en effet se préparer. Les ministres [économie et des Armées] ont organisé une réunion le 20 mars à Bercy pour mettre autour de la table tous les acteurs financiers, à la fois les financiers privés et publics, pour justement faire en sorte qu’on puisse financer ce qu’on appelle la BITD, la base industrielle de technologie de la défense qui comporte à peu près 4600 PME et ETI françaises. Il y a une demande très forte faite aux instituts financiers pour qu’ils accompagnent ces entreprises en leur donnant les moyens d’investir à la fois dans des équipements, à la fois dans des bâtiments et aussi pour recruter.
Par où commencer quand on veut se positionner sur ce secteur en tant que sous-traitants ?
P.E. Il faut bien savoir quelles sont les forces de l’entreprise, sur quels domaines technologiques elles vont pouvoir se positionner. Parce qu’en fait il y a très peu d’entreprises qui sont 100 % défense. Souvent elles travaillent pour d’autres domaines, que ce soit pour l’aéronautique, le nucléaire et il faut vraiment qu’elles sachent où elles sont les meilleures. Par ailleurs, elles doivent connaître le marché de la défense parce que c’est un marché complètement à part. Au sein de NAE, comme nous étions très focalisés dans l’aéronautique, nous avons dû travailler davantage dans le domaine de la défense, car ce sont de nouveaux acteurs. Les procédures ne sont pas les mêmes, les contractualisations sont complètement différentes. Donc il faut apprendre les processus qui gèrent ce domaine d’activité. Et donc pour une entreprise, cela peut prendre du temps. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas qu’elle le fasse seule.
Quelles sont les conditions à remplir pour accéder au marché ?
P.E. Nous sommes sur des marchés, où l’excellence est de mise, alors les équipements doivent avoir une fiabilité fantastique à toute épreuve. Et donc pour ça, il faut que chaque pièce produite ait le bon niveau de qualité. Les entreprises doivent avoir avec un service qualité extrêmement fort, qui permet de vérifier à chaque étape de la production que la pièce a le bon niveau de qualité avant d’être livrée au client.
Quelles erreurs faut-il éviter ?
P.E. C’est penser que c’est facile et d’y aller tout seul, parce qu’il y a beaucoup de processus à connaître et il vaut mieux se faire accompagner par des personnes qui sont déjà passées par là, qui connaissent bien ce marché, elles leur feront gagner du temps.
Les entreprises doivent-elles faire attention à l’origine de leurs équipements ?
Jean-Marc Scolari. En effet, il y a des pays qui sont strictement proscrits, tels que la Russie, la Biélorussie, la Syrie, l’Iran, qui, de facto, ne pourront pas rentrer en ligne de compte et qui vont bloquer tout investissement dans ce domaine.
Et la Chine ?
J.-M. S. La Chine aujourd’hui n’est pas encore sur la liste officielle, mais potentiellement au regard des enjeux commerciaux et géopolitiques, il y a de fortes chances que cela le devienne. Toutefois, nous sommes sur quelque chose qui est extrêmement mouvant. C’est un sujet d’actualité sur lequel, chez Evolis, nous prenons garde et nous menons des études assez poussées, notamment sur les importations extra européennes.
Vos adhérents, qui sont des sous-traitants, sont-ils sensibles à la provenance de leurs équipements de production ?
P.E. Ils sont davantage sensibles à l’aspect cybersécurité. Nous sommes dans ce qu’on appelle l’industrie 4.0, une industrie extrêmement connectée où tous les pans de l’entreprise sont concernés, les achats par exemple. Tout se fait informatiquement entre les grands donneurs d’ordre et les PME. Donc c’est important. Mais les machines sont aussi connectées. Il y a de plus en plus de robots, de cobots dans les entreprises, des équipements vulnérables parce que si quelqu’un prend la main, de l’extérieur, et modifie les réglages des machines, on risque de fabriquer des pièces qui ne sont pas bonnes. Mais il existe un deuxième risque : que quelqu’un s’approprie les programmes de la machine et qui soit capable de reproduire des pièces extrêmement sensibles et extrêmement classifiées.
Comment protéger ces équipements de production ?
J.-M. S. Il y a tout un corpus, de règles qui viennent régir effectivement le 4.0 dans le domaine industriel en particulier. On voit bien que les cahiers des charges qui nous parviennent sont autrement plus restrictifs que l’industrie 4.0 qu’on déploie par ailleurs dans les usines. La communication machine to machine, ce sont des éléments qui sont également déterminants, notamment lorsqu’on réfléchit à une montée en cadence incontournable quand on parle du marché de la défense.