Mécanique : les métiers en tension

Alors que l’industrie recrute à tour de bras et que des milliers d’emplois restent non pourvus, faute de candidats qualifiés, voire même de candidats tout court, quels sont les métiers de la mécanique les plus en tension ?

C’est ce que nous avons voulu savoir dans cette 15e édition de MP L’Emission.

D’un état des lieux de la situation de l’emploi, nos experts en expliquent ensuite les causes et livrent quelques pistes de solutions, en seconde partie de “Machines Production L’Émission”.

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Décryptage

Nous recevons deux invités :

Cyril Aujard, président du Coffmet, le Comité français pour la formation à la mesure tridimensionnelle

Nicolas Parascandolo, délégué général adjoint d’Evolis, l’organisation professionnelle des créateurs de solutions industrielles

Sur notre plateau, ils évoquent :

  • Les métiers en tension
  • Les causes de la pénurie de main-d’œuvre
  • Le rapport des jeunes au monde du travail
  • Les solutions pour pallier aux difficultés d’embauche

Dans le top cinq de l’UIMM des métiers les plus recherchés dans l’industrie, en 2020, on trouvait notamment le métier de régleur, chaudronnier et celui d’ingénieur. Pour Nicolas Parascandolo, l’industrie mécanicienne est confrontée à deux grands enjeux : « D’un côté, c’est une activité très traditionnelle, avec des métiers historiques, comme celui de soudeur, d’ajusteur. Et tous les techniciens qui travaillent au pied des machines dont les compétences s’acquièrent avec le temps, l’expérience et la transmission. Et d’un autre côté, notre industrie est aussi en pleine phase de transformation avec des innovations. Donc on parle beaucoup de l’industrie du futur. On l’appelle aussi dans d’autres pays, en Allemagne par exemple, l’industrie 4.0. Des innovations qui apportent aussi de nouvelles compétences, et de nouvelles obligations. Un millefeuille technologique qui va s’élargir avec du digital, des nouvelles technologies comme la fabrication additive, de l’automatisation qui devient de plus en plus présente. »

Ainsi, pour le délégué général adjoint d’Evolis, l’industrie mécanique doit à la fois continuer de faire valoir et de porter ces métiers « traditionnels » où il est difficile de trouver des candidats et s’ouvrir sur des nouvelles compétences. « Le paradigme est un peu compliqué. D’où la présence de ces métiers en tension qui est de plus en plus qui pèse dans cette industrie mécanisée », décrypte Nicolas Parascandolo.

C’est dans le domaine de la métrologie tridimensionnelle que les besoins sont les plus importants

Pour le président du Coffmet, c’est le métier de métrologue qui manque tant aux mécaniciens. Et c’est dans le domaine de la métrologie tridimensionnelle que les besoins sont les plus importants, qu’il s’agisse de technologies laser, capteurs chromatiques, mais également de photogrammétrie et autres scanners 3D, énumère Cyril Aujard. Alors que la fabrication additive est de plus en plus présente dans les sites de production, les entreprises doivent faire appel à la technologie du rayon X, telle que la tomographie, pour le contrôle dimensionnel non destructif de pièces imprimées.

« Le métier a bien évolué car la métrologie intervient du début jusqu’à la fin d’un cycle de production, c’est-à-dire qu’on va autant intervenir pour faire réduire les coûts de conception et de R&D d’un nouveau produit, que sur le cycle final pour confirmer la qualité et la conformité »

relève Cyril Aujard, sur le plateau de MPLE, qui parle également d’une métrologie automatisée avec la quête de responsables de cellules autonomes, dans le cadre de l’industrie 4.0. Ainsi, il sera question d’interfacer les moyens de métrologie et les machines-outils, avec la robotique. Sans oublier la gestion du « big data », le suivi statistique, « de manière à rendre les usines plus intelligentes ».

L’industrie continue de souffrir d’une « image vieillissante »

Si les entreprises de mécanique peinent encore à recruter du personnel, c’est aussi parce qu’elles continuent de souffrir d’une mauvaise image. Pour M. Parascandolo, l’industrie continue de souffrir d’une « image vieillissante », celle « des temps modernes qu’on nous ressort assez souvent, ce qui n’est pas du tout le cas d’ailleurs ». Mais le délégué général adjoint d’Evolis observe « un effort assez significatif, qui a été fait vers l’industrie pour différentes raisons. Les derniers événements avec le Covid nous ont rappelé la nécessité d’être indépendants dans le mode de production à tous les niveaux. Et le deuxième élan trouve sa source dans l’industrie du futur. C’est-à-dire qu’on s’aperçoit aujourd’hui que les technologies de production sont de plus en plus digitalisées, sont de plus de plus en plus accessibles aux jeunes générations, parce que compatibles avec leurs valeurs, sur le mode de fonctionnement, sur la capacité à créer des produits. Des technologies qui sont plus complexes à appréhender et cela demande effectivement des compétences variées, mais elles bénéficient aussi, comme tous les équipements qu’on a autour de nous, d’une facilité de prise en main et d’utilisation. Donc c’est aussi beaucoup plus accessible. Quand vous faites appel à de la fabrication additive, ça peut permettre à n’importe qui de créer son objet chez lui. Donc c’est un formidable appel à la production et à la création. Donc c’est ça qu’il faut essayer de valoriser. »

« Le nombre d’heures de formation en métrologie a considérablement diminué »

Mais si les machines conventionnelles pouvaient « fait peur à l’Education nationale pour des questions d’accidentologie », Nicolas Parascandolo constate que « la tendance est en train de s’inverser ».

A la question sur une possible déconnexion entre le monde de l’Education nationale et les besoins réels des entreprises, pour Cyril Aujard, elle est réelle. « Aujourd’hui, par rapport à tous les programmes existants à l’Education nationale, en BTS et DUT le nombre d’heures en métrologie a considérablement diminué », regrette le directeur de la division Manufacturing Intelligence du groupe Hexagon, en France, tout comme il déplore « qu’on peut compter, sur le territoire, moins de cinq licences spécialisées en mesure 3D ». M. Aujard observe que le monde de l’éducation n’est plus en « adéquation avec le besoin des industriels français en métrologie ».

Si Nicolas Parascandolo ne s’étonne pas de voir davantage d’ingénieurs débarquer sur le marché du travail, c’est aussi parce que « l’on a montré le BTS et le bac pro comme des voies de garage, quand on n’arrivait pas à faire des études supérieures, alors que ça devrait être des voies d’excellence pour un certain nombre de jeunes hommes et de jeunes femmes qui se révèlent dans des métiers techniques ».

Et d’insister que ces diplômes doivent être « une voie de réalisation pour un certain nombre de personnes qui aiment réaliser des choses qui n’ont pas forcément besoin d’aller jusqu’à des diplômes d’ingénieur. Les Allemands sont beaucoup plus ouverts sur cette pratique ».

 

Pénurie de jeunes sur « des postes d’itinérants »

Si la transformation numérique des ateliers devrait rapprocher les jeunes de l’industrie mécanique, il existe un revers de la médaille, selon M. Parascandolo.

Car « la nouvelle génération, qu’on appelle « digital natives », une génération qui est née avec des objets digitaux dans les mains, mais aussi dans les oreilles. Donc ils se créent un monde à eux, beaucoup plus individualistes. Un comportement, qui se traduit dans les entreprises de façon aussi très directe », a-t-il pu observer.

A cela, il faut ajouter que les jeunes n’entretiennent plus le même lien à l’emploi que leurs aînés. Avec pour conséquences une pénurie de jeunes sur « des postes d’itinérants, ce qu’on appelle des techniciens SAV, commerciaux, des postes qui nécessitent de se déplacer. Et les déplacements deviennent compliqués pour eux parce que l’arbitrage entre la vie privée et la vie de l’entreprise va pencher plutôt du côté de la vie privée », analyse Nicolas Parascandolo. « Les règles du jeu ont complètement changé, enchaîne Cyril Aujard. C’est une vraie difficulté aujourd’hui de trouver des candidats ou candidates pour accepter le mode itinérant. »

L’environnement, un critère qui compte beaucoup auprès de la jeune génération

L’environnement est également un critère qui compte beaucoup auprès de la jeune génération. « Les jeunes aspirent à un certain nombre de valeurs sur l’environnement, de valeurs éthiques, et aujourd’hui ils les mettent au-devant de leur engagement par rapport une entreprise. Donc c’est aussi à nous, dans les entreprises mécaniciennes, de montrer l’engagement qu’on peut avoir sur des questions environnementales, sur des questions d’éthique, sur la valorisation des métiers », prévient notre expert.



L’une des solutions qui existent pour aider les entreprises à recruter et à former leurs futurs collaborateurs est celle d’embaucher un apprenti. D’autant plus qu’il existe des aides financières pour cela.

« Revaloriser l’apprentissage est une très bonne formule parce que c’est vraiment un bon mixte entre l’apprentissage pédagogique, institutionnel et le monde de l’entreprise, explique M. Parascandolo. Donc c’est une bonne montée en compétences pour les étudiants et une bonne intégration pour les entreprises, même si ça reste compliqué pour les PME-PMI, parce qu’un apprenti c’est du temps, c’est de l’argent, c’est de l’investissement et on n’est pas garanti qu’il reste à la fin de son apprentissage. »

Cela dit, si l’investissement peut être lourd, « c’est un peu le mal nécessaire ».

« L’intérêt de l’apprentissage est d’être au plus proche des besoins de l’entreprise »

« Un apprenti, ce n’est pas un employé en CDI à 100 %, avertit Cyril Aujard. On ne peut pas lui demander les mêmes exigences, il faut l’accompagner. Ça demande aussi une certaine structure, avec un tutorat, un accompagnement. Par contre, l’intérêt de l’apprentissage est d’être au plus proche des besoins de l’entreprise d’un point de vue formation et compétences. »

Toutefois, si des aides existent pour prendre des apprentis, « on a un problème de sourcing », prévient le président du Coffmet. Et la clé, pour nos deux experts, est de susciter de l’envie, comme « les très belles campagnes qui avaient été faites par l’artisanat ou par un certain nombre de branches professionnelles, rappelle M. Parascandolo. Il faut que l’on arrive à donner une vraie image de ce qu’est l’industrie aujourd’hui. L’industrie, c’est un secteur très innovant, qui est en pointe sur la partie environnementale et qui est au cœur des problèmes environnementaux et de la décarbonation et autres. C’est par l’industrie qu’on trouvera des réponses et qu’on va créer le monde de demain. L’industrie aujourd’hui est au cœur de nos préoccupations. On le voit bien dans certaines problématiques d’indépendance alimentaire et sécuritaire, notamment : notre industrie a vraiment beaucoup d’atouts. »

Vers une académie de la métrologie

Evolis et Coffmet projettent de créer une académie dédiée aux métiers de la métrologie. Car « il n’y a pas une journée où je ne rencontre pas un dirigeant ou un responsable qualité ou métrologie, qui n’ait pas un problème de recrutement. On se doit de trouver des solutions au même titre que certaines sociétés vont créer leur propre école, parce que cela devenait vitale pour elles, en cas de reprise, d’avoir des candidats avec un bon niveau de compétences, explique Cyril Aujard. L’idée de la Metrology Academy, c’est de proposer des cycles courts de 450 heures de formation spécifique aux métiers de la métrologie. Et il n’y a pas un programme aujourd’hui qui permet de proposer cela. Même en licence spécialisée, on n’a pas 450 heures dédiées à la mesure tridimensionnelle, à la photogrammétrie ou au contrôle par rayons X. »

Intervenants

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Cyril Aujard

COFFMET

Président

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Nicolas Parascandolo

EVOLIS

Délégué général adjoint

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Jérôme Meyrand

Machines Production

Rédacteur en Chef

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Patrick Cazier

Machines Production

Rédacteur